Un métier de gestionnaires de flux ?

Il semble qu’en ce qui concerne le rôle des chefs d’établissement quant à l’orientation des élèves, la confusion soit faite entre responsabilité d’une politique éducative et gestion des flux.

Dans bon nombre d’académies, ils se voient intimer la consigne de faire entrer leur action dans les clous de « taux repère ». Derrière l’affichage moralisateur de l’engagement généreux contre les inégalités et de la promotion de l’ambition pour tous, le fond de l’injonction est trivialement technocratique.

Dans une circulaire adressée aux principaux de collège dont on se demande si elle se contente de leur reprocher leur inertie ou si elle les prend tout simplement pour des faibles d’esprit inconscients des enjeux, le recteur de l’académie de Créteil explique par exemple qu’il « suffirait que quelques élèves supplémentaires par classe bénéficient d’une décision d’orientation vers la voie générale et technologique ». Il suffirait surtout d’arrêter de croire que le pilotage d’une organisation éducative relève du management coercitif et de la pensée magique.

En l’occurrence, en choisissant de piloter exclusivement par des indicateurs et la définition de « taux repères », on prend le problème à l’envers : on mesure avant de comprendre, on prescrit avant d’écouter. Il ne s’agit pas de nier les disparités ou les biais d’orientation, mais de s’interroger sur la manière de les corriger. Cela suppose une politique de confiance, pas de conformité. Et d’avoir, du côté de ceux qui prétendent piloter le système, de l’ambition politique et un vrai projet éducatif : tout le contraire de l’absence de pensée qui est précisément celle qui trie, et qui conduit notamment à construire la voie professionnelle comme une voie de relégation.

Dans ce genre de communications en forme de remontrances se manifeste surtout le peu de considération pour le travail des équipes de terrain. Les personnels de direction auraient-ils donc besoin qu’on leur récite les valeurs de l’école républicaine ? Ils les portent et les défendent chaque jour, dans la complexité des contextes locaux. Prétendre leur enseigner l’engagement, c’est leur faire affront.

Puisque les compétences psycho-sociales sont désormais en vogue, on ne saurait trop recommander que les recteurs et DASEN eux-mêmes bénéficient de quelques heures de formation sur le sujet. Une telle démarche, en plus d’être utile, aurait au moins le mérite d’aligner les discours sur les pratiques.

Si l’Éducation nationale veut réellement servir l’ambition des élèves et lutter contre les inégalités, elle ne pourra pas y arriver sans faire confiance à ceux qui les accompagnent. C’est à cette seule condition qu’on pourra espérer faire reculer les inégalités. Et ce n’est certainement pas un taux repère qui donnera de l’élan à une vocation ou du sens à un projet d’avenir.