Rapport de l’Inspection générale sur les chefs d’établissement : vers une réforme pernicieuse ?

Début septembre, l’Inspection générale a rendu public un rapport intitulé « Etre chef d’établissement aujourd’hui », avec l’objectif de dresser un panorama dans l’enseignement public et de comprendre la réalité des missions. Le titre du rapport laisse à penser qu’il est d’une tonalité descriptive et qu’il concerne la totalité des personnels de direction, pour produire un tableau exhaustif. Mauvaise pioche. En effet la mission explique avoir choisi de se focaliser sur les 7 500 chefs d’établissement, et uniquement eux, pour recommander notamment qu’à l’avenir une distinction nette entre chef et adjoints soit faite, y compris dans la manière de les évaluer.

Ce parti pris n’est pas sans signification sur le sort réservé aux personnels de direction adjoints. Il touche également à la conception même du métier de personnel de direction. La lecture du rapport laisse entrevoir un projet qui pourrait représenter une dégradation du sens de nos missions.

Le rapport se présente en trois parties :

1. Qui sont les chefs d’établissement

2. Des dispositifs abondants de pilotage et d’animation des chefs d’établissement, mais qui ne réussissent pas à traiter l’ensemble des problématiques

3. Les missions des chefs d’établissement : entre théorie et réalité

Le rapport commence par dresser une typologie du chef d’établissement et s’intéresse à la répartition sexuée des postes. Les constats produits dans les derniers bilans sociaux sont reproduits et la mission recommande donc d’agir en faveur d’un égal accès des femmes aux établissements de catégories les plus élevées, ce qui n’est pas le cas actuellement. Plus loin, elle recommande de modifier la réglementation relative aux catégories d’établissement, de manière à introduire la possibilité de surclasser temporairement un établissement lorsqu’il a été constaté, par audit ou enquête, que cet établissement connaît des difficultés conjoncturelles liées au climat scolaire, au pilotage des équipes, et/ou lorsque le chef d’établissement est chargé du pilotage de dispositifs spécifiques non rémunérés (Cité éducative, réseau divers…).

La mission explique également que le ministère a consenti des efforts importants en matière de rémunération des chefs d’établissement et qu’ils disposent désormais d’un « rémunération supérieure à la moyenne de celle des fonctionnaires de catégorie A de la fonction publique de l’État » : 4407€ en moyenne pour un chef d’établissement en 2021-2022 quand les fonctionnaires d’État catégorie A touchent 3115 (enseignants confondus) et 3840€ hors enseignants.

Le perdir moyen peine à se retrouver dans cette moyenne ! On s’interroge, au vu de la rareté des publications des travaux de l’Inspection générale, sur la médiatisation de ce rapport. Les acteurs de l’éducation n’en ont dans l’ensemble retenu que les « avantages indéniables » de la profession. La question de la hauteur des rémunérations est ainsi invalidée alors que ces « avantages » sont sans commune mesure avec les difficultés liées à l’accélération de la procéduralisation et à la démultiplication des tâches que nos métiers connaissent.

Une évaluation annuelle remise en cause

Le titre choisi pour cette partie est explicite : « [l]’évaluation des chefs d’établissement par l’institution cherche encore son modèle et son rythme ». Alors que l’évaluation triennale n’avait pas réellement de sens, qu’elle rendait la part variable symbolique, le nouveau format d’évaluation des personnels de direction est jugé trop chronophage. Pour illustrer le propos, la mission cite l’IA-DASEN de Seine-Maritime, qui ne fait d’ailleurs pas partie des académies officiellement entendues par les Inspecteurs généraux. L’évaluation annuelle, avec les 21 critères de compétences, amorcée en 2021, est remise en question. Un nouveau rythme et une nouvelle grille avec moins d’items sont en discussion « avec les syndicats représentatifs » siégeant au GNPD.

Pour autant, le nouveau rythme choisi et les nouvelles modalités ne garantissent pas la satisfaction finale des personnels évalués ni la reconnaissance attendue de l’institution. En effet, la mission reconnaît elle-même la difficulté dans laquelle se trouvent les DASEN pour attribuer la part variable de l’IF2R, désormais intitulée CIA. Quand il y a des miettes à répartir, comment faire ? Comment expliquer à un chef qui a perçu le plus haut de la part variable une année qu’il ne puisse pas la percevoir l’année suivante ? S’il est toujours jugé excellent, comment le lui expliquer ? Mais comment gérer également les contingents de chefs d’établissements eux-mêmes excellents, qui ne perçoivent pas le montant auquel ils peuvent aspirer ?

Centré sur les seules questions du rythme et de la simplification managériale, le rapport ne remet pas en question le principe d’une évaluation « au mérite » qui conduit à un tassement de la progression de la part indiciaire au profit de l’indemnitaire. Le rapport oublie de préciser que cette approche, actée désormais par le RIFSEEP, consacre une modalité de revalorisation tronquée puisqu’elle n’a pas d’incidence sur le montant des pensions. Aucune proposition n’est faite non plus en vue de garantir la possibilité d’un accès pour tous à la hors classe en fin de carrière, pour un corps « plus âgé » pour lequel le métier de perdir représente une seconde carrière, alors que pourcentage de personnels de plus de 50 ans n’ayant pas atteint la hors-classe est toujours sans comparaison avec les enseignants et les inspecteurs.

Les préconisations entérinent une forme de statu quo salarial et confirment l’opacité d’un fonctionnement qui met les carrières toujours plus à la main des DASEN sans proposer de remédiation satisfaisante au sentiment d’arbitraire.

Chef-adjoint : une remise en cause annoncée des statuts

Plus loin, la mission s’intéresse aux textes « qui différencient peu l’emploi de chef d’établissement et celui d’adjoint, en tout cas de manière explicite », tout en précisant que dans les faits, il n’y a qu’un seul chef à présider les différentes instances et à assumer la responsabilité de la charge. Et « que l’on ne peut pas attendre de la part d’un chef d’établissement adjoint qu’il sache diriger, administrer, gérer et représenter l’établissement et les entités qui lui sont rattachées » ou qu’il puisse « conduire et animer l’ensemble des ressources humaines de l’établissement » et encore moins qu’il puisse « exercer l’autorité sur les personnels affectés dans l’établissement ».

La problématique de l’évaluation des adjoints par les chefs est exclue des observables du rapport, qui les confirme dans la position d’une subordination hiérarchique de fait. Les « constats » valident un cloisonnement des missions entre chefs et adjoints. Une telle perspective conduirait à une perte du sens du métier pour ces derniers, apparemment réduits au statut de concepteurs des emplois du temps et de CPE adjoints.

En vertu des différents constats faits sur la charge de travail reposant sur les chefs d’établissement, de la fragilité des équipes administratives des EPLE et de l’arrivée croissante des personnels contractuels dans les établissements, la mission recommande de faire évoluer les missions des secrétaires généraux des établissements vers davantage de responsabilité RH et que les textes régissant les chefs d’établissement fassent l’objet d’une réécriture.

Il s’agit d’une restructuration des équipes de direction qui affaiblit le statut des adjoints. Une partie des missions d’encadrement (l’exemple donné est celui de l’affectation d’un tuteur à un enseignant contractuel) serait ainsi dévolue aux secrétaires généraux. Le rapport ne manque pas de rappeler que ces derniers sont désormais sous l’autorité des collectivités. A-t-on affaire aux premiers pas vers une territorialisation de la profession ?

Dans sa conclusion, la mission pointe des constats du protocole d’accord du 16 novembre 2000 publié au bulletin officiel dans lequel les organisations syndicales regrettaient notamment d’« être dans une certaine incertitude quant aux attentes précises de l’institution à leur égard », de « voir de façon permanente leurs responsabilités et leurs tâches se complexifier et s’alourdir dans un environnement social de plus en plus exigeant », de « ressentir une impression forte de solitude dans l’exercice de leurs fonctions », et souhaitaient « une meilleure reconnaissance institutionnelle de leur rôle ».

En presque 25 ans, ces constats n’ont pas changé, la société a évolué, le métier aussi qui s’est considérablement densifié. La mission pointe en creux différents éléments de crise et appelle à une nouvelle concertation avec les organisations syndicales. Si certains contours sont tracés, en particulier celui des salaires, des besoins d’améliorer l’environnement numérique, d’autres le sont moins et laissent poindre en creux des réformes de structure beaucoup plus profondes, sur le rôle, les missions des chefs d’établissement et la nature du management du ministère. Se dessine ainsi le projet d’une transformation d’un métier de personnel de direction qui resserre la subordination aux orientations politiques des pouvoirs en place dans le contexte d’une organisation de plus en plus descendante et obsédée par le contrôle.

Il s’agit d’un mauvais coup pour les personnels de direction adjoints et l’enjeu ne doit pas être sous-estimé d’un changement de sens du métier pour tous les personnels de direction. Ce sont, à travers les partis pris exprimés par cet état des lieux, de nouvelles formes de dégradation qui se profilent.

Gageons que le snU.pden-FSU ne soit pas mis sur la touche dans les discussions à venir. Nous avons des choses à dire sur la question, des principes et des valeurs à défendre.

Cette orientation est problématique à plusieurs titres :

  • vision tronquée du métier : en se focalisant uniquement sur les chefs, le rapport ne rend pas compte de la complexité et de la diversité des missions des personnels de direction dans leur ensemble.
  • risque de hiérarchisation : la recommandation de distinguer plus nettement les rôles et les évaluations entre chefs et adjoints pourrait conduire à une hiérarchisation excessive et à une dévalorisation du travail des adjoints.
  • dérive managériale : on peut craindre que cette étude ne serve de prétexte à renforcer les aspects managériaux du métier de chef d’établissement, au détriment des missions éducatives et relationnelles.

Il est essentiel que nous nous mobilisions pour :

  • exiger une étude plus complète : nous devons demander à l’IGEN de mener une nouvelle étude qui prenne en compte l’ensemble des personnels de direction et qui analyse les liens et les complémentarités entre les différents postes.
  • défendre l’unité du corps des personnels de direction : nous devons rappeler que nous formons un corps unique, avec des missions complémentaires et indispensables au bon fonctionnement de nos établissements.
  • souligner l’importance des missions éducatives : Nous devons réaffirmer que notre rôle principal est d’accompagner les élèves dans leur parcours scolaire et de contribuer à la réussite de tous.

Bureau national

Bobigny, le 18 octobre 2024

Les douze recommandations du rapport : https://www.education.gouv.fr/etre-chef-d-etablissement-dans-le-second-degre-aujourd-hui-415397

Partie 1

Recommandation n° 1 : agir en faveur d’un égal accès des femmes aux établissements de catégories les plus élevées.

Recommandation n° 2 : modifier la réglementation relative aux catégories d’établissement, de manière à introduire la possibilité de surclasser temporairement un établissement lorsqu’il a été constaté, par audit ou enquête, que cet établissement connaît des difficultés conjoncturelles liées au climat scolaire, au pilotage des équipes, et/ou lorsque le chef d’établissement est chargé du pilotage de dispositifs spécifiques non rémunérés (Cité éducative, réseau divers…).

Recommandation n° 3 : modifier la grille indiciaire du corps des personnels de direction en introduisant un plafond en hors échelle Bbis, accessible uniquement aux chefs d’établissement qui justifient d’un parcours professionnel reconnu pour ses charges et responsabilités managériales.

Recommandation n° 4 : organiser une plus grande transparence sur la diffusion des postes vacants ou susceptibles de l’être.

Partie 2

Recommandation n° 5 : simplifier les modalités d’évaluation des chefs d’établissement : réduire le nombre d’items, prévoir un temps unique d’entretien annuel qui distingue les objectifs et les aspects de mobilité, différencier la grille d’évaluation des chefs d’établissement et des adjoints, pour reconnaître les fonctions spécifiques de chacun.

Recommandation n° 6 : renforcer le suivi et l’accompagnement du parcours individuel des chefs d’établissement, en confortant l’implication et la professionnalisation des missions académiques de l’encadrement.

Recommandation n° 7 : mettre en place dans les académies une formation continue attractive à destination spécifique des chefs d’établissement : tenir compte des besoins des territoires, du développement professionnel et de l’actualité éducative. Rendre obligatoire, le cas échéant, une partie de cette formation, en privilégiant des modalités agiles. Encourager le développement local de formations certifiantes, en liaison avec les établissements d’enseignement supérieur.

Recommandation n° 8 : faire vivre la charte académique des pratiques de pilotage dans chaque académie, avec une coordination conjointe avec les représentants des personnels et des actions spécifiques visibles pour l’ensemble des chefs d’établissement.

Partie 3

Recommandation n° 9 : actualiser le référentiel métier des chefs d’établissement en réaffirmant leur rôle essentiel de cadre du système éducatif et lui conférer une valeur réglementaire à l’image de l’arrêté du 1er juillet 2013 pour le métier d’enseignant, en liaison avec les dispositions statutaires du corps des personnels de direction.

Recommandation n° 10 : organiser le collectif de travail pour mieux répartir la charge actuellement dévolue au chef d’établissement au sein de l’équipe de direction élargie, dès lors qu’elle est complète, voire avec l’équipe enseignante. En particulier, renforcer les fonctions RH au sein des établissements ; le secrétaire général d’EPLE pourrait se voir confier des tâches directement liées au processus RH (recrutement, installation, suivi des actes RH…).

Recommandation n° 11 : mettre en place à l’administration centrale comme dans chaque académie un point d’entrée unique pour les chefs d’établissement, destiné à répondre à un besoin immédiat quel que soit le sujet, ou à orienter les chefs d’établissement vers le bon interlocuteur. Veiller à la qualité de l’accueil physique des chefs d’établissement dans les services académiques.

Recommandation n° 12 : améliorer l’environnement numérique des chefs d’établissement : mieux outiller les chefs d’établissement avec des applications gratuites et interopérables ; faire de la direction du numérique pour l’éducation l’interlocuteur et le coordonnateur unique pour la mise en place des outils numériques en établissement.