Le président de la République a indiqué qu’il souhaitait que le « mérite » prenne plus de place dans les critères d’avancement de carrière des fonctionnaires. Gabriel Attal et son ministre de la fonction publique « et de la transformation », Stanislas Guérini, entendent conduire en ce sens une réforme vite bouclée, la rémunération au mérite constituant une mesure phare du projet de loi qui sera déposé dès septembre.
Le besoin est affirmé de reconnaître enfin « de façon objective les parcours méritants comme les situations d’insuffisance ». Comment ne pas être d’accord avec cette idée d’une juste rémunération de son travail et d’une reconnaissance méritée ? On pourrait en fait être séduit par ces déclarations qui prétendent offrir les conditions pour permettre de « vivre dignement » de son travail, comme l’affirmait le premier ministre dans son discours de politique générale.
Pourquoi donc les quatre organisations syndicales, CGT, FO, Solidaires et FSU, ont-elles quitté la table des négociations ? Serait-ce qu’elles défendent scandaleusement un droit à la paresse ?
Entendons bien que derrière un discours d’apparent bon sens réside un projet qui répond à une visée idéologique.
En cohérence avec cette volonté de donner plus de place au mérite dans la rémunération des fonctionnaires, le projet vise la suppression des catégories A, B et C. Il s’agit de casser ces « plafonds de verre » pour « introduire davantage l’idée de métier et de compétences » pour que les fonctionnaires puissent « évoluer plus rapidement et plus facilement ». A l’idée d’une accessibilité des promotions à tous les personnels d’une catégorie est substituée celle d’une valorisation des profils qui se distinguent. La qualité du service public est censée passer par la promotion de « l’excellence » qu’on imagine être favorisée par un contexte de mise en concurrence généralisée. Ce qui est loin d’être scientifiquement prouvé. Mais surtout voici la porte ouverte à l’arbitraire. Nous sommes, nous, personnels de direction, bien placés pour le savoir, notre profession étant déjà particulièrement exemplaire d’un fonctionnement où la mobilité et les promotions sont utilisées comme moyens de pression d’une hiérarchie de proximité qui a tout pouvoir sur la carrière des personnels.
Avec des procédures qui favorisent la docilité dans le comportement des « exécutants » se confirme la mise en place d’un modèle qui envisage des solutions pensées et structurées d’avance par les décideurs et demande aux acteurs du terrain de les « adapter aux contextes » en usant des bonnes ficelles managériales. La contradiction est manifeste avec l’affirmation de faire vivre les collectifs de travail engagés pour le bien commun qui constitue l’un des axes de négociation avec les organisations syndicales.
Une telle transformation des conditions du service de l’Etat est en revanche pleinement en accord avec le projet macronien d’une gouvernance autoritaire et d’une transformation à marche forcée de la société française en vue de son adaptation à un marché mondialisé, dont les gesticulations du premier ministre représentent la version populiste. Ce dernier n’hésite pas à se réclamer de l’héritage de Maurice Thorez, créateur du statut de la fonction publique en 1946. Mais que fait-il de ses déclarations qui mettaient en avant l’idéal du « fonctionnaire citoyen » : « le fonctionnaire garanti dans ses droits, son avancement et son traitement, conscient en même temps de sa responsabilité, considéré comme un homme et non le rouage impersonnel de la machine administrative » ?