Santé mentale des élèves : vous reprendrez bien un peu de protocole ?

A la rentrée 2024, tous les établissements devront présenter à leur conseil d’administration un protocole pour la santé mentale des élèves et désigner au moins deux volontaires parmi les personnels d’enseignement ou de vie scolaire pour les former au « secourisme en santé mentale ».  

Tromperie sur la marchandise 

C’est en fait, sous couvert de « secourisme », une mission de repérage, de « détection des états de fragilité et de difficulté psychologique des élèves » qui sera dévolue aux futurs secouristes. Sous la confusion du concept flou de santé mentale vont se trouver médicalisées a priori des situations extrêmement variées de difficultés psychiques liées au contexte de l’adolescence, qui ne relèvent pourtant pas toutes du pathologique. L’identification de ces situations suppose une compétence de plein droit des personnels formés et qualifiés de nos établissements, et on peut se demander s’il est inoffensif de la déléguer à des équipes formées à des  compétences de lanceurs d’alertes médicales.

Mais la question n’est pas tant celle du protocole de repérage ou d’évaluation mais bien celle de la prise en charge. Sans parler des temps de présence des personnels de santé dans nos établissements, la difficulté que nous rencontrons n’est pas de repérer les difficultés, mais de les adresser à ceux ou celles qui pourraient les traiter. Va-t-on se satisfaire de renvoyer les familles vers le numéro vert ? Il y a bien des chances que sous un affichage compassionnel et une générosité de façade ce protocole ne soit que la poudre aux yeux offerte aux familles.

Car le fond du problème, c’est une politique désastreuse en matière de santé scolaire. Rappelons que le nombre de médecins scolaires est tombé de 1392 titulaires en 2006 à 900 en 2020, pour des personnels qui à plus de 80% ont plus de 50 ans. La France ne disposait en 2022 que d’un médecin scolaire pour 13000 enfants. Le ministère ne prend pas même en compte cette dimension du problème, pas plus qu’il ne se soucie de la question du temps de présence des personnels infirmiers et psy-EN dans nos établissements. La meilleure garantie pour la sécurité psychique des enfants que nous accueillons ne serait-elle pas d’avoir les moyens d’un travail d’équipes des professionnels spécialisés et qualifiés auprès des établissements, et de ne pas faire peser ces missions à des personnels qui ne sont pas formés pour cela et qui ont d’autres missions ? Ce glissement des compétences, sous le couvert du discours clinquant de l’action partagée et collective, ne répond qu’à la logique grossière du cache-misère.

Et la santé mentale des personnels ?

Dans beaucoup de nos établissements, nous allons être bien en peine de trouver des personnels volontaires qui ne croulent pas déjà sous les différentes missions. Qui peut encore être animé par une boulimie d’engagements pour l’école du « choc des savoirs » avec des temps de formation durant le service ou soirées, les mercredi après-midi et vacances scolaires ? Et bien sûr sans rémunération…

Assujettis à la mode managériale des protocoles, les personnels de direction vont devoir de leur côté « engager la communauté » dans un élan collectif et partagé de rédaction des protocoles. Ils sont déjà astreints dans certaines académies à des dizaines d’heures de visio-conférence pour être formatés aux « bonnes pratiques » imposées par le dispositif.

C’est la santé mentale des personnels qui est ainsi promise à être dégradée.

Il importe avant tout de reconnaître et de respecter le travail d’équipe et les expertises qui se sont construites sur le terrain. Les professionnels des établissements ont besoin d’être outillés en ressources de formation et en moyens humains pour les problématiques de santé scolaire, mais pas d’être contraints à des démarches descendantes. Le snU.pden-FSU appelle les collègues à ne mettre en place ce protocole que s’ils le jugent pertinent au regard du contexte de leur établissement et s’ils disposent des personnels volontaires pour le faire. Il soutiendra les collègues qui subiraient des pressions de ce fait.

Edmond Porra

Membre du CSN