Grand sujet médiatique de cette rentrée 2024, l’expérimentation de la « pause numérique » va concerner 199 établissements. Le dispositif consiste à interdire l’usage du téléphone au collège, y compris lors des pauses et des récréations. Pour le moment, l’expérimentation concerne un peu plus de 50.000 élèves, mais elle est prévue pour être étendue dans tous les collèges en janvier 2025. On pourrait se féliciter de la volonté de l’Etat de se saisir d’un problème sociétal essentiel en renforçant la sanctuarisation des espaces scolaires pour préserver les temps d’apprentissage. Hélas ! Une fois de plus, le clinquant d’une mesure toute faite pour être populaire contraste avec une bien terne réalité.
Le bénéfice est en effet bien limité. Au mieux il s’agit d’un outil de régulation et de contrôle pour des usages qui sont déjà prohibés par la loi. Mais il est difficile d’affirmer que l’utilisation des téléphones dans les toilettes pour lesquelles il pourrait avoir une éventuelle efficacité soit une problématique majeure des établissements. En tout cas le rapport bénéfice / coût est loin d’être intéressant pour les équipes qui doivent traiter ces situations.
Quelle facilitation cela représente-t-il pour des services de vie scolaire et de direction à qui vont devoir se livrer à une nouvelle comptabilité pour gérer dans un établissement de 800 élèves autant de casiers et qui devront faire face à de nouvelles responsabilités s’agissant d’objets qui ont à la fois une valeur marchande et une dimension d’identité pour les adolescents ? S’il faut prévoir les opérations pour que chacun dépose son téléphone à l’entrée du collège pour le récupérer à la sortie, faudra-t-il prévoir un allongement du temps scolaire ? La mesure, si elle avait un autre objectif que purement communicationnel, devrait au moins s’accompagner d’un renforcement des effectifs de vie scolaire, mais ce n’est à l’évidence pas la tendance, les établissements faisant déjà les frais d’une loi de finances qui a procédé à la suppression de plus de 1 100 postes d’assistants d’éducation. Et quel bénéfice quand il n’y a pas de garantie du financement de ces casiers miraculeux par les collectivités et que plusieurs départements se sont déjà positionnés défavorablement ? Les établissements seront-ils contraints de les prendre en charge sur leurs propres fonds ?
Inefficace, dispendieuse, cette mesure présente enfin tous les traits d’une escroquerie. Affichée comme un moyen d’améliorer les résultats et lutter contre le harcèlement, en quoi peut-elle y contribuer ? Il serait intéressant qu’on nous explique et qu’on nous démontre en quoi cette régulation par le casier peut avoir un quelconque effet sur les addictions et les abus liés à l’usage des écrans et des réseaux sociaux, qui sont des phénomènes qui se produisent massivement hors l’école et qui relèvent a priori des problématiques autrement plus complexes de la co-éducation.
Si nous nous avisions de macroniser une œuvre bien connue de René Magritte, nous pourrions dire : « si ceci n’est pas de la pipe, alors qu’est-ce que c’est* » ? Peut-être serait-il temps d’en finir avec la gouvernance publicitaire.
* Entre autres exemples parmi les dits d’Emmanuel Macron : » [quand] tu es jeune, les 35 heures c’est de la pipe ! » (octobre 2016) ; « il y a plein de produits importés qu’on ne produit plus en France. A la fin, [la taxe] sera payée par les mêmes, parce que vous continuerez à acheter votre sèche-linge, votre téléphone, votre téléviseur, etc. Donc ça, c’est la pipe ! » (avril 2017) ; « ce n’est pas parce qu’on remettra l’ISF comme il était il y a un an et demi, que la situation d’un seul gilet jaune s’améliorera, ça c’est de la pipe… » (janvier 2019) ; « [pour calculer sa retraite dans le futur système] les simulations, c’est de la pipe complète ! » (4 octobre 2019)