Lassitude, démotivation, désenchantement, sentiment de déclassement, le corps des chefs d’établissement n’est pas épargné par la crise profonde qui touche l’Éducation Nationale.
Autant d’éléments développés par le snU.pden FSU lors de l’audition devant le conseil spécialisé du CSA MEN consacré aux conditions de travail, le 23 novembre 2023.*
On nous en demande toujours plus, sans doute trop, l’institution nous place en première ligne, exposés aux agressions et aux tensions dont elle est parfois à l’origine (comme pour la mise en place du pacte). Elle nous conduit aussi souvent à être le dernier recours, sans toujours nous donner les moyens ou les solutions, mais en nous laissant le soin d’en trouver … ou pas !
Nous l’acceptons, car comme la plupart des fonctionnaires engagés pour le service public, nous faisons au mieux, pour les élèves, leurs familles et les personnels, quitte à prendre sur notre temps libre quand il en reste (1), sur notre temps de sommeil, quitte aussi à mettre en péril notre santé et nos vies personnelles. Nous avons tous et toutes dans notre entourage professionnel des collègues PERDIR qui ont craqué ou sont en passe de le faire, qui ont changé de métier, ou qui – malheureusement – ne connaîtront jamais une retraite méritée.
Nous l’acceptons, parce que notre métier jusqu’ici faisait sens. Mais il le fait de moins en moins. Nous sommes en effet toujours dans l’urgence, passant d’une priorité institutionnelle une semaine à une autre la semaine suivante, soumis à des injonctions contradictoires (devoirs faits obligatoires en 6ème mais avec des professeurs qui doivent être volontaires pour le faire, mise en œuvre obligatoire du RCD (remplacement de courte durée) avec des pactes sur la base du volontariat, etc.), des calendriers intenables, en particulier pour les examens de fin d’année, et la liste pourrait s’allonger.
Et qu’en sera-t-il du sens de nos missions quand les prochaines réformes iront à l’encontre de toutes les recherches menées depuis des décennies sur la constitution des classes, le redoublement, et que nous aurons à gérer des groupes de niveaux en collège (si l’on en croit les rumeurs médiatiques qui précèdent les annonces de décembre) et à justifier leur bien-fondé auprès des parents et des enseignants ?
Nous sommes également censés être des personnels d’encadrement, des « managers », mais nous devenons de plus en plus de simples exécutants quand il s’agit de nous plier régulièrement à des directives de dernière minute, comme celle concernant les questionnaires sur le harcèlement, au risque de remettre en cause ce qui avait été construit collectivement et patiemment par nos équipes, en fonction des réalités vécues dans nos établissements. Et le pire, c’est lorsque ces directives, nous les apprenons par les médias avant d’en être informés par les différents canaux institutionnels. Espérons que le groupe whatsap créé par le ministre ne sera pas un autre moyen pour nous « court-circuiter » !
Jusqu’à quand accepterons-nous tout ça ? Car c’est aussi parce que nous nous taisons – par peur de perdre une promotion ou une mutation -, que le ministère charge la barque, petit à petit, insidieusement, tentant de repousser les limites, espérant que le point de rupture sera frôlé et pas atteint.
Des solutions, il y en a !
D’abord, il faut revenir à l’autorité uniquement fonctionnelle des chefs sur leurs adjoints et permettre à l’équipe de direction d’en redevenir une. Et créer des équipes où il n’y en a pas : pas d’EPLE sans adjoint, sans secrétaire et agent d’accueil ! Les suppressions de postes subies depuis quelques années constituent des économies de bout de chandelle, elles ont pourtant des conséquences désastreuses sur les individus et les EPLE.
Ensuite, le ministère doit arrêter de déléguer au local toujours plus de missions chronophages (PIAL, UPE2A, direction multi-sites, etc.), très souvent non rémunérées et dont la lourdeur administrative prend sur le temps qui devrait être dédié aux élèves et aux personnels, à la réflexion et au pilotage pédagogiques. Ou alors, il faut nous donner les moyens humains et matériels pour le faire, à la hauteur du travail réel à effectuer.
Les chefs d’établissement ne doivent plus accepter que les instructions arrivent sans textes officiels réglementaires explicites, afin qu’ils puissent prendre des décisions légales et sans risque de contestations, ou de conflit local. Ces instructions, les réformes, doivent être discutées en amont, les consultations du CSE doivent être respectées (quel signal est envoyé quand un vote contre unanime ou à une forte majorité, est balayé avec mépris ?)
Le temps de travail réel doit être pris en compte, et le CET (compte épargne temps) doit être élargi au temps de travail de la semaine et des week-ends qui dépasse largement les horaires officiels pour la plupart d’entre nous.
La revalorisation et la reconnaissance salariales sont un impératif :
- Comment accepter qu’une prime de 1000 euros soit considérée comme une revalorisation quand son montant est largement inférieur à celui des autres catégories (80 euros par mois, montant inférieur à un pacte) ?
- Comment accepter que les chefs d’établissement aient des salaires nettement inférieurs à ceux de beaucoup des enseignants (agrégés, hors-classe, classe exceptionnelle, pactes, heures sup) et que la seule ouverture proposée soit le RIFSEEP, qui n’aura pas d’incidence sur le montant des pensions ?
- Pourquoi ces différences de pourcentage entre les corps pour l’accès à la hors-classe alors qu’être PERDIR est une seconde carrière, donc que nous sommes un corps plus « âgé » en moyenne, qui atteint rapidement le dernier échelon de la classe normale avant d’y stagner très longtemps, sans perspective autre que de toucher la GIPA (prime pour compenser la perte de salaire par rapport à l’inflation) ou de de changer d’établissement pour avoir une catégorie supérieure et donc une prime qui, au final, ne sera pas reprise à la retraite ? Quel pourcentage de personnels de plus de 50 ans n’a pas la hors-classe en comparaison avec les enseignants et les inspecteurs ? Combien de PERDIR partent à la retraite sans la hors-classe alors que cela devient rarissime chez les enseignants, un PERDIR y perdant donc à la retraite par rapport aux professeurs puisque les primes ne comptent pas ou si peu ?
L’alternative pour le ministère est claire : soit nous nous mettons autour de la table pour discuter tous ces points en priorité pour trouver un consensus accepté par la profession, soit c’est la catastrophe assurée pour le système éducatif qui continuera à voir ses cadres les plus investis le quitter. Mais peut-être est-ce le but recherché ?
Igor GARNCARZYK
Secrétaire général du snU.pden-FSU