Les conclusions de la Convention citoyenne sur les temps de l’enfant laissent le sentiment de quelque chose d’insuffisant, d’inachevé, et pour tout dire de superficiel. Ce qu’on pouvait imaginer comme la réappropriation démocratique d’une question fondamentale pour l’école a la forme d’un rendez-vous manqué.
La question du « temps de l’enfant » peut en effet difficilement se poser de façon isolée, indépendamment de l’articulation entre école et famille, loisirs et vie sociale. Le cadrage imposé aux travaux de la Convention citoyenne par la lettre de saisine conduisait de fait à contourner les enjeux fondamentaux de société et la question du travail. Mais c’est aussi la question du projet éducatif et des finalités de l’école qui s’est trouvée occultée et absorbée par une instrumentalisation du débat qui en minait d’avance le terrain.
La Convention avait été initiée dans une stratégie présidentielle de diversion politique surfant sur le school-bashing autour du « trop de vacances » et le « manque de flexibilité ». Ses conclusions ne pouvaient que pâtir d’une méthode visant délibérément à jouer l’appel à la démocratie « participative » pour tronquer le débat public.
La consultation a été d’entrée nourrie par des travaux d’experts privilégiant une biologisation des questions scolaires au détriment d’autres approches plus attentives aux mécanismes qui transforment les inégalités de milieu en inégalités de réussite.
Faut-il alors s’étonner de voir ressurgir le schéma d’un bon sens mal éclairé qui sépare les « disciplines théoriques » des « disciplines pratiques » ? Les premières pour lesquelles on est frais le matin, les secondes pour ce qui reste de cerveau disponible l’après-midi… Traduit de l’allemand dans la novlangue post-blanquérienne : une bonne dose de fondamentaux d’un côté et un grand bol de compétences psycho-sociales de l’autre. La domination idéologique de l’approche neuro-cognitiviste fait décidément bien du mal à l’éducation. N’insistons pas sur les effets pédagogiques de ce découplage du « théorique » et du « pratique ».
On peut mesurer surtout les conséquences sociales de cette vision appauvrie de l’enseignement, où les disciplines théoriques seraient nobles et centrales, quand les pratiques artistiques, culturelles ou corporelles seraient périphériques et substituables. Ces dernières sont des composantes essentielles de la culture commune, essentielles pour lutter contre les inégalités culturelles et symboliques. Les reléguer en périphérie ouvre la porte à une école recentrée sur un noyau minimal, le reste étant distribué en fonction des territoires, des moyens locaux, des partenariats disponibles. Autrement dit : l’égalité garantie par l’État remplacée par un patchwork d’offres inégales.
Belle aubaine donc, pour un transfert de responsabilités éducatives, et pourquoi pas, des charges financières et de la masse salariale vers les collectivités. Avec la perspective de « projets éducatifs territoriaux de nouvelle génération » se dessine une décentralisation de délestage dont on peut imaginer facilement le résultat : accentuation des inégalités territoriales et sociales, concurrence des offres locales, et in fine renforcement des déterminismes sociaux. Cette logique, combinée avec celle du « choix » dans des offres externalisées, laisse prévoir l’amplification des écarts dans une société déjà malade de l’inégalité, favorisant encore plus les plus favorisés pour accéder aux parcours les plus riches.
Certes, les citoyens et citoyennes qui ont participé à la Convention ont pointé des facteurs d’inégalité, insisté sur le besoin d’un investissement renforcé dans l’éducation, identifié les effets délétères de la pression scolaire. Ils ont fait dans ce sens des propositions dont il serait heureux de s’inspirer. Mais l’expérience de la Convention citoyenne sur le climat n’incite guère à l’optimisme : sur 149 propositions, seules 19 furent reprises, soigneusement filtrées à l’aune de considérations idéologiques et économiques. Rien n’indique que cette nouvelle convention ne suive pas le même chemin de la récupération sélective, avec des risques d’autant plus grands si le pouvoir bascule à l’extrême droite.
Face à cette politique du « moins d’école », le snU.pden-FSU porte une autre vision : celle qui donne au contraire du temps pour renforcer les pratiques collaboratives, ouvrir des espaces dédiés à l’accompagnement des élèves, aux projets, aux remédiations, bref tout ce que l’école devrait garantir comme droit pour réduire les écarts entre élèves. Ce n’est pas en retirant du temps scolaire que l’on combattra les inégalités, c’est en organisant un temps éducatif de qualité, supposant des équipes pluriprofessionnelles formées et du temps pour les collectifs de travail. Et en ce qui nous concerne, un temps retrouvé pour les personnels de direction.
