Au risque d’être à contre-courant, nous voudrions rendre justice à Anne Genetet. Ce n’est pas une ministre potiche qui serait posée à l’éducation nationale pour sa seule proximité avec Gabriel Attal.
L’unisson des voix qui s’indignent de la nomination d’une ministre qui ne connaît pas le dossier de l’éducation et dénoncent un mépris pour l’école est bien sûr parfaitement fondé. Mais ce serait se tromper de problème que d’en rester là et s’enfermer dans une alternative où les zélateurs du génie macronien et de la sagesse barnierienne auront beau jeu d’opposer la thèse de la sécurisation technocratique des questions éducatives. On ne manquera pas de nous opposer, dans ce procès en incompétence, la présence rassurante du nouveau conseiller éducation à Matignon et de Caroline Pascal à la Dgesco pour garantir la viabilité d’un cap marqué à droite.
Peut-être faudrait-il légèrement décaler la perspective.
Lors de son mandat de députée des Français de l’étranger, la nouvelle ministre de l’éducation nationale n’a pas limité ses intérêts à la commission Défense de l’Assemblée nationale, à la généralisation du SNU et « au rôle que peut jouer notre jeunesse dans la résilience nationale ». Elle a également été rapporteure à la commission des Affaires étrangères d’une réforme de la gouvernance de l’AEFE et elle a manifesté dans le cadre de ses missions un intérêt certain pour les établissements français de l’étranger. Cela mérite qu’on y soit attentif.
Ce rapport consacre les transformations du rôle de l’AEFE : d’instrument de la coopération internationale, l’infléchissement de l’AEFE vers une fonction d’accompagnement de la mondialisation et du développement des entreprises à l’étranger s’est confirmé sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Anne Genetet ne se fait pas faute de s’affirmer dans cette perspective résolument libérale, en soutenant « un nouveau modèle de développement » et en cadrant son mandat sur la réduction de la fiscalité pour les entreprises et les expatriés. Ce contexte, favorable à la privatisation de l’offre éducative, amène à faire de l’AEFE un outil de coordination entre opérateurs publics et privés, où se délite le système des conventions avec l’Etat, où fleurissent les labels, et où les parents ont une part toujours plus grande dans le financement et dans le pilotage du réseau.
C’est ce modèle des parents expatriés en free lance, éminemment consommateurs d’école, que la nouvelle ministre pourrait bien importer à l’Education Nationale. Tous les marqueurs y sont déjà présents dans son discours. Ainsi Madame Genetet n’hésite pas à nous expliquer que sa compétence est appuyée sur son rôle de mère de quatre enfants scolarisés à Singapour, et ses priorités sont en résonance avec des représentations et des exigences de mère de famille bon teint. Les professionnels de l’éducation peuvent se préparer à être assommés par les thématiques du harcèlement à l’école, de la santé mentale des élèves, de la sécurité et du respect de l’autorité, de l’inclusion comme marché de la demande de sur-mesure scolaire, de la laïcité comme barrière de protection identitaire, et de la réorientation précoce des indésirables.
Voici quels sont nos a priori et nos préventions à l’égard de Madame la ministre. Nous les assumons sans difficulté. Dans un esprit de charité, nous ne sommes pas fermés à l’idée qu’elle pourrait nous surprendre. Mais les paris sont ouverts…