Les réformes du lycée général et technologique ainsi que du lycée professionnel sont lancées. L’objectif du gouvernement reste identique : avancer à marche forcée, quitte à rincer, vider l’ensemble des équipes à la manœuvre, à savoir les équipes administratives et de direction, les enseignants, les CIO. Chacun fait de son mieux pour aménager les parcours, rester informé sur une communication ministérielle au fil de l’eau. Pas le choix de toute manière : le politique a décidé qu’il fallait mettre en place un nouveau baccalauréat en 2021, soit un an avant les prochaines élections présidentielles.
En 2019, les chefs d’établissement doivent amortir le calendrier des DHG plus court encore que les autres années, rassurer les équipes enseignantes, quand ils disposent des fonds nécessaires. Sinon, il faut trancher dans le vif et supprimer des postes, parfois en nombre conséquent, se heurter à la colère des enseignants, des parents, justifier les choix quand on sait que les calculs que l’on présente relève davantage de l’astrologie que des vérités et des données brutes.
Pour constituer les répartitions, l’institution demande aux proviseurs des prévisions sur la comète qui engagent une partie de la répartition des heures : comment peut-on savoir réellement au mois de janvier quelles vont être les demandes des élèves et des familles dans les différentes spécialités ? Chacun sait que dans l’ancien système, les TRMD pouvaient changer plusieurs fois entre les mois de juin et juillet. Et là, il faudrait trouver une solution dans le marc de café ? Qu’est-ce à dire sinon qu’il faut flécher les moyens à l’avance, recréer de facto des filières et du coup, tuer l’esprit même de la réforme ? Dans une académie, il s’est même trouvé un cadre pour demander aux chefs d’établissement de créer des emplois du temps au plus vite, soit fin janvier-début février. Vive émotion chez les chefs d’établissement réunis pour la rentrée 2019…
Comment les familles vont-elles pouvoir faire un choix éclairé ?
D’ici quelques semaines à peine, les familles vont avoir à choisir différentes spécialités. Les attendus du supérieur ne sont toujours pas connus. Il plane comme un vide intersidéral, sauf peut-être pour ceux qui sont déjà bien renseignés et qui connaissent tel directeur d’école ou tel responsable…
De fait, même si l’ancienne formule instituait une hiérarchie entre les bacs, la nouvelle ne fera certainement pas mieux. Elle mettra en place une concurrence entre les élèves. Il n’y aura pas de place pour tout le monde dans toutes les spécialités. Face à ces problèmes, aux restrictions de moyens, à l’accroissement de leurs tâches, aux conséquences injustes imaginables de ces réformes, des enseignants notamment de l’académie de Toulouse ont présenté leur démission de leur fonction de professeur principal.
Des propositions déconnectées du terrain
D’autre part, le Ministère fait croire aux élèves qu’ils pourront choisir une spécialité qui n’est pas proposée dans leur établissement de secteur en s’inscrivant pour cet enseignement dans un lycée où la spécialité est enseignée. Le Ministère fait croire que les deux établissements mettront en concordance les emplois du temps pour permettre aux élèves de répondre à leurs choix.
C’est bien une proposition totalement déconnectée du terrain.
Premièrement les situations territoriales sont extrêmement différentes selon que les établissements se trouvent en secteur urbain ou en secteur rural. On pourrait comprendre éventuellement que des établissements distants de quelques centaines de mètres, à Paris par exemple, puissent proposer des spécialités « rares » en complément et qu’ils enrichissent ainsi l’offre soumise aux choix des familles. Pour ce qui est d’établissements en zone rurale distants de plusieurs kilomètres, on comprend bien que le temps de déplacement devra être pris en compte dans l’élaboration des emplois du temps et que plus la distance entre les établissements est importante, moins la complémentarité sera possible !
D’autre part, chacun connait la galère de la conception des emplois du temps à rendre compatibles quand on a un professeur partagé sur plusieurs établissements. Est-il sérieusement envisageable de rendre compatibles les emplois du temps d’élèves entre plusieurs établissements ???
Quand on connait la complexité de la conception des EDT actuellement, quand on sait que les différents choix de spécialités des familles vont les complexifier plus encore l’an prochain, il ne sera pas possible de mettre en adéquation des emplois du temps d’élèves entre plusieurs établissements sur tout le territoire national, c’est une certitude ! Dire ou écrire le contraire est un mensonge !
Peut-on encore débattre ?
Mais le pouvoir actuel a réponse à tout et des arguments de poids dans sa manche. Lundi 11 février, vers 23h, l’Assemblée nationale a adopté l’article 1 de la loi Blanquer : « Dans le respect de la loi n° 83634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique également le respect mutuel entre les membres de la communauté éducative et notamment le respect des élèves et de leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de l’ensemble de ses personnels. »
Dans une tribune publiée le 11 février dans le quotidien Libération, Saïd Benmouffok, Professeur de philosophie à Aulnay-Sous-Bois (93) Co-fondateur du mouvement Place publique, explique les effets immédiats de l’esprit de cet article de loi qui « porte sur l’exemplarité des membres de la communauté éducative, formulation en apparence anodine. Mais l’étude d’impact de la loi, rédigée par les services du ministère, nous alerte sur les objectifs réellement poursuivis. » Saïd Benmouffok s’interroge : « Où est la frontière entre critiquer l’institution et la dénigrer ? Un enseignant pourra-t-il encore écrire librement sur les conditions d’exercice de son métier sans tomber sous le coup de cette prétendue loi de confiance ? Rien n’est moins sûr. Avec cet article, monsieur Blanquer veut donc créer un délit d’opinion spécifique aux personnels de l’éducation nationale. »
Jusqu’à quand pourra-t-on donc s’exprimer librement ? Sans vouloir être alarmiste, il est bon de rappeler que ce qui fonde une démocratie, ce n’est pas simplement la liberté d’expression, mais la capacité d’un peuple à absorber les opinions divergentes, non pas pour les museler par la voie de l’autoritarisme, mais pour favoriser leur émancipation.
Le bureau national
Paris, le 13 février 2019