« les emplois de direction dans les trois versants de la Fonction Publique seront ouverts aux contractuels » ; cette phrase, et d’autres encore, comme l’idée d’aider les fonctionnaires dans le cadre de plan de « départs volontaires » ont de quoi inquiéter les personnels de direction et l’ensemble des personnels de la Fonction Publique. Écrits à l’occasion du compte rendu du Conseil des Ministres du 12 juin dernier, ils repoussent une nouvelle fois toute une série de tabous. Pour autant, croit-on sincèrement que l’on puisse mettre des contractuels à la tête d’établissements scolaires chargés eux-mêmes de recruter… des contractuels ? Pense-t-on que l’on peut diriger un établissement scolaire comme une épicerie (pardon pour les épiciers…) et qu’il s’agit simplement pour nous de manipuler les chiffres ? Une connaissance du fonctionnement des établissements, des besoins des élèves, des familles, des professeurs, de la pédagogie, des relations avec les autorités de tutelle et les collectivités territoriales est nécessaire pour « piloter » dans de bonnes conditions une structure. Si l’on veut faire convenablement le travail, sans dérive technocratique, cela demande en fait un long apprentissage.
Dans nos établissements, nous sommes régulièrement confrontés aux collègues contractuels : enseignants, personnels administratifs et agents, qui doivent apprendre leur métier sur le tas. Il faut bien reconnaître que l’Éducation Nationale, organisme de formation par excellence, donne un exemple assez pitoyable de la formation continue de ses agents titulaires. Les contractuels, n’en parlons pas… Cette utilisation accrue des contractuels place déjà les établissements en concurrence les uns avec les autres. Nous le voyons bien quand nous sommes en phase de recrutement pour les assistants d’éducation. L’éloignement des collèges ruraux place ceux-ci en position plus compliquée que certains situés dans les centres urbains. Pour autant, cela n’empêche pas certaines disciplines de continuer à être déficitaires, même dans les capitales régionales. Si le métier d’enseignant ne fait plus vraiment rêver, est-ce que le recours à des contractuels en plus grand nombre permettra de combler les services non assurés jusque-là ? Et surtout, est-ce l’assurance d’un service de qualité pour nos élèves ?
La crise du recrutement ne sera pas compensée par les contractuels
Si des collègues se frottent déjà les mains à l’idée de pouvoir recruter, l’administration centrale aussi : si les postes manquant ne sont pas pourvus, la faute en reviendra directement aux chefs d’établissement, alors que nous savons tous parfaitement que le problème est bien plus complexe.
A titre d’exemple, citons les chiffres de l’Académie de Créteil où les précaires sont déjà bien présents :
14215 personnels enseignants sont contractuels pour 64781 titulaires (22%) ; 92 personnels de direction sont des « faisant fonction » (10%). Sans remettre en cause l’investissement souvent remarquable de celles et ceux qui font fonction, ne peut on pas se demander si les établissements ne fonctionneraient pas mieux avec des personnels de direction titulaires de leur poste qui pourraient rester en établissement pendant plusieurs années ? La précarité pour les personnels de direction et la précarité à la tête des établissement, voilà ce qu’envisage le gouvernement… Est-ce acceptable?
Donner de la souplesse, oui, mais à certaines conditions
S’il faut donner plus de souplesse au système, c’est peut-être en permettant aux enseignants d’aller plus facilement là où ils le souhaitent ; en n’obligeant pas nécessairement les sortants concours à partir en réseau d’éducation prioritaire.
Des marges de progrès sont toujours possibles dans les systèmes établis tout en conservant les principes d’équité et de solidarité sur tout le territoire . C’est ce que nous défendons au quotidien. Plus que jamais, ces valeurs doivent être préservées défendues. Le Service Public est attaqué, nous le savons. La S.N.C.F. en est un exemple.
Plus généralement, l’utilisation abusive du langage et de concepts prétendument positifs et valorisant pour justifier les Réformes et les transformations sociales doivent absolument nous faire réfléchir sur l’ambition politique de ce gouvernement : aller jusqu’à tordre le réel pour libéraliser le système et voir s’il tient en équilibre. Le règne des plus forts, l’exclusion ne sont pas des valeurs dans lesquelles nous nous reconnaissons. Il en est de même pour le tri des migrants annoncé par le Président de la République pour les naufragés de l’Aquarius, tri qui deviendrait la norme aux frontières de l’Europe. En disant cela, nous ne changeons pas le sujet de ce billet : cette volonté de tri dit simplement la considération générale de nos gouvernants pour les êtres humains. Nous sommes tous concernés, y compris dans nos fonctions. Ne laissons pas la démocratie reculer.
Samuel Lautru
Pour le Bureau National,
Paris, le 29 juin 2018