Une fin d’année scolaire et un contexte social chaotiques… Quelles perspectives pour l’Éducation Nationale ?

Les événements de ces derniers jours mettent en avant la fragilité de la cohésion sociale dans de nombreux territoires de la République. La colère d’une partie de la jeunesse, qui s’est exprimée en certains lieux sous des formes violentes que nous condamnons, nécessite de répondre à la question de fond du mal-être persistant d’une grande partie de la jeunesse.

La dégradation de lieux au service de la jeunesse tels qu’écoles, centres de loisirs ou autres services publics montre le fossé qui se creuse entre les représentations que se font de ces structures et institutions une partie de la jeunesse et la fonction sociale qui devrait être la leur.

Cet abîme ne peut laisser indifférent. Il questionne et interroge en premier lieu les politiques publiques menées ces dernières décennies, dont celle menée au sein de l’Éducation Nationale. Le désespoir et la colère deviennent les sentiments dominants de nombreux jeunes. Ce constat ne doit pas devenir fatalité.

Nous connaissons une partie des solutions qui permettraient de mieux vivre en tout lieu du territoire. Ces solutions nécessitent une volonté politique sans faille pour mettre en action notre devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité ». Cette belle devise ne doit pas rester lettres mortes, la jeunesse doit la vivre, la ressentir, au quotidien, dans tous les lieux de vie dont l’institution scolaire. Oui, cela nécessitera des engagements importants, pour porter sans ambiguïté des politiques basées sur les solidarités, les coopérations, le collectif et non une politique basée sur l’individualisation et la mise en concurrence.
Une politique qui :

  • assure une vie meilleure à toutes et tous, à chacune et chacun et non seulement aux premiers de cordée ;
  • renforce les synergies entre État et Collectivités et non qui cherche à réaliser économie sur économie en rejetant la responsabilité de la faiblesse de l’action publique sur l’autre partie ;
  • considère que la jeunesse mérite un investissement financier, en personnels qui soit à la hauteur des enjeux sociétaux qui constituent le fondement de notre République.

Bien éloigné de nos préoccupations de cette fin d’année scolaire pourront rétorquer certains. Non.

Cette conception politique, au sens noble du terme, est la seule voie pour notre École. L’École, de la maternelle à l’enseignement supérieur constitue un des éléments essentiels de formation et d’éducation de notre jeunesse. C’est pourquoi une politique éducative ambitieuse est aujourd’hui une nécessité impérative.

Quels seraient les principales orientations de cette Politique ?

  • le renforcement du Service Public de l’Éducation Nationale. Pour créer des conditions d’apprentissage, d’éducation, d’enseignement favorable à l’atteinte des objectifs fixés à l’École par la Nation, il est indispensable de créer les conditions du recrutement de personnels en nombre suffisant, dans l’ensemble des corps de métiers. Ceci nécessite une revalorisation des salaires, le recrutement de fonctionnaires et non de contractuels, l’amélioration des conditions de travail pour retrouver une attractivité des métiers représentés dans notre Ministère. La contractualisation par la mise en œuvre du « pacte », la mise en concurrence des établissements, des matières, des parcours, sont délétères et ne peuvent que produire amertume et frustrations.
  • des métiers qui doivent redevenir des métiers de mission et non des métiers à faible base salariale complétée par des tâches payées en complément de revenus. Pour cela, réduisons les heures supplémentaires, diminuons les obligations réglementaires de service, augmentons les rémunérations de base pour redonner du temps aux enseignants d’encadrer globalement les élèves, dans toutes leurs dimensions. L’établissement scolaire doit constituer un lieu de vie épanouissant, la relation aux adultes enrichissante. L’épuisement actuel des personnels, la surcharge de travail, la parcellisation des tâches, le paiement à l’« acte »  sont antagonistes à ces orientations pourtant essentielles à la formation des jeunes qui vivent une partie importante de leur temps dans nos établissements.
  • une politique éducative stable qui permette aux personnels, aux élèves et aux familles de se construire, de travailler, de se projeter, sereinement. Les réformes successives amenant toujours plus d’individualisme, brisant les collectifs que ce soit celui de la classe en lycée ou les collectifs de travail sont autant de facteurs fragilisant personnels et usagers. La nouvelle architecture du lycée, de Parcoursup, les réformes vécues au collège, ne contribuent en aucune manière à la mise en œuvre des valeurs « Égalité et Liberté », notamment pour les plus fragiles. Une préparation de rentrée 2023, avec de nombreux textes réglementaires non publiés à ce jour constitue une illustration de cette fragilisation de notre institution.
  • l’enseignement professionnel doit redevenir source d’émancipation, les partenaires économiques demeurer des partenaires et non des prescripteurs. La formation professionnalisante doit rester équilibrée avec l’acquisition d’un tronc général qui permette aux jeunes de s’adapter au mieux dans une société et une économie en mouvement.  La future liberté de choix et de projet de vie, de lieu de vie des élèves le nécessite.

Nous pourrions poursuivre ce développement pour préciser, concrétiser l’École que nous souhaitons. Nous devrions également formuler la politique qui devrait être menée pour renforcer l’efficacité de nos relations avec nos partenaires institutionnels et associatifs. Des services publics, de santé, sociaux, justice, police qui n’ont plus les effectifs pour prendre en charge de nombreuses situations dans des bonnes conditions et un délai satisfaisant. Du temps également pour prévenir et non seulement guérir. Tous ceux d’entre nous qui sommes à l’Éducation Nationale depuis de nombreuses années, avons vécu la dégradation des partenariats, non pas par manque de volonté individuelle mais dans la plupart des cas structurellement, par manque de moyens humains.

Notre Ministère contribue actuellement à la création du désordre. En ne permettant pas de préparer sereinement la prochaine année scolaire, en ne créant pas les conditions d’accueil et d’enseignement qui facilitent la réussite de tous nos élèves, en ne renforçant pas  l’attractivité des métiers de l’Éducation, en soumettant l’Education à l’économie, en individualisant les parcours et les rémunérations, en mettant la concurrence au cœur du système et brisant le principe de Fraternité par le seul sauvetage des premiers de cordée, en renforçant l’ancrage territorial au détriment de l’ouverture, en n’assurant pas la continuité du Service Public. C’est pour cela que contrairement à d’autres organisations syndicales de personnels de direction nous affirmons que le « pacte » concerne le système éducatif, la société dans son ensemble, et non pas seulement les enseignants.

C’est pourquoi nous affirmons haut et fort qu’une autre Politique doit être mise en œuvre, pour la jeunesse, pour les personnels, pour la mise en action sur l’ensemble du territoire national et notamment dans nos établissements, des valeurs de notre République : « Liberté, Égalité, Fraternité ».

Bobigny, le 6 juillet 2023

Bureau national