L’année 2025 aura été une année terrible pour la jeunesse de notre pays et pour notre système éducatif. Elle marque le retour en force de la sélection, d’une conception biaisée du mérite, et l’abandon progressif de la volonté politique de permettre à tous les élèves de réussir.
Et pour quelle finalité ? Celle d’une communication politique vantant un retour aux « vraies valeurs », dont l’indicateur serait une baisse assumée des taux de réussite aux examens et le renforcement de paliers sélectifs à tous les niveaux du système éducatif.
Et pour quels résultats ? Une perte de sens profonde pour les personnels comme pour les élèves, et des conséquences délétères pour l’ensemble du système éducatif.
Si ce processus a été enclenché il y a plusieurs années avec Parcoursup — qui a installé la sélection comme norme d’accès à l’université — il s’est depuis étendu à tous les étages de l’école.
- Au lycée professionnel, avec le « Y », dont nous avons collectivement constaté l’échec à la fin de l’année scolaire dernière.
- Au collège, avec le retour en force de la note dans le contrôle continu du DNB et dans la procédure d’affectation Affelnet, l’abandon du socle commun de connaissances, de compétences et de culture — qui, malgré ses limites, portait l’ambition politique, inscrite dans la loi d’orientation de 2013, de 100 % de validation —, ou encore la mise en place de groupes de niveaux puis de besoins en mathématiques et en français en 6ᵉ et 5ᵉ.
À cela s’ajoutent les ballons d’essai lancés pour tester l’opinion publique : examen d’entrée en sixième, retour d’un palier d’orientation en 5ᵉ… autant de signaux inquiétants.
Un renoncement au principe d’éducabilité
La conséquence la plus grave est sans doute l’abandon de l’idée fondamentale selon laquelle tous les élèves sont capables de réussir, idée pourtant — certes imparfaitement mais clairement — portée par la loi d’orientation de 2013. À mesure que cette ambition s’efface, la question centrale « comment faire réussir tous les élèves ? » est remplacée par une autre : « que faire des élèves qui ne seraient pas capables ? ». Avec elle reviennent les vieilles logiques de tri social : orientation précoce, mise au travail rapide, relégation des élèves les plus fragiles.
De cette rupture découlent de nombreuses transformations systémiques. La focalisation sur des micro-compétences légitime la constitution de groupes fondés sur des évaluations standardisées. La valorisation de la performance individuelle se fait au détriment de la construction collective et socialisée des apprentissages. D’où la promotion de nouvelles organisations du collège et du lycée, où la multiplication des groupes remplace la stabilité du groupe classe.
Le retour de l’examen comme outil du tri social
Si tous les élèves ne sont plus considérés a priori comme étant capables de réussir, c’est le sens même de l’examen qui est affecté. Il n’a plus pour vocation d’attester d’un objectif fixé pour tous par la société : la capacité à poursuivre un cycle d’enseignement supérieur pour le baccalauréat, la validation d’un socle de culture commune pour le DNB. Sa fonction se réduit à opérer une sélection qui est le reflet des hiérarchies sociales, à valider au lieu de les combattre les effets des mécanismes qui lient la réussite scolaire à l’origine sociale. La défiance à l’égard des taux de réussite est l’expression de ce renoncement.
Les discours ministériels sont à cet égard sans ambiguïté. Ainsi, Élisabeth Borne évoquait la nécessité de « redonner de la valeur à l’examen en redonnant un tour de vis sur le contrôle continu et les jurys », pour reprendre le titre d’un article du Monde d’août 2025.
Le DNB illustre parfaitement cette dérive. Quel est désormais le sens de ce diplôme ? Que signifie son obtention ? Rappelons que la réforme portée par Gabriel Attal visait initialement à conditionner l’accès à la seconde à l’obtention du DNB — volonté ouvertement sélective. Si ce palier a été abandonné, principalement pour des raisons de faisabilité, notamment en seconde professionnelle, les nouvelles modalités d’attribution ont, elles, été maintenues. Leur objectif est clair : provoquer une baisse significative du taux de réussite.
Quelles conclusions seront tirées demain ? Que le système précédent était démagogique ? Que l’École est à bout de souffle ? Que certains élèves n’ont pas les capacités de poursuivre en lycée ? Que l’hétérogénéité serait un obstacle à la réussite du plus grand nombre ? Toutes ces hypothèses sont ouvertes. Dans un contexte politique instable, marqué par la montée des droites extrêmes et de leurs idéologies, elles sont particulièrement préoccupantes.
Le paradigme du « Y » : l’orientation darwinienne et ses gares de triage
Les quelques lignes consacrées à Affelnet dans le livret ministériel sur le DNB de décembre confirment cette orientation : seules les notes seront prises en compte pour l’affectation, sans aucune considération pour les domaines du socle commun. C’est un choix clair en faveur d’une sélection par la note, au détriment de la reconnaissance de l’engagement des élèves dans leur parcours et leur projet, pourtant source de motivation et de valorisation, notamment dans les domaines 2 et 3.
Le « Y » du lycée professionnel s’inscrit exactement dans la même logique, avec les conséquences désastreuses observées en fin d’année scolaire. Le baccalauréat professionnel doit rester une voie d’accès à l’enseignement supérieur pour tous les élèves qui le souhaitent, sans choix préalable imposé durant les trois années de formation. La Nation doit tenir cet engagement envers sa jeunesse.
Nous pourrions poursuivre sur bien d’autres exemples. Les procédures d’accès au master prolongent, dans l’enseignement supérieur, cette même idéologie de la sélection, opposée à une politique ambitieuse de réussite pour tous les jeunes.
Réaffirmer le principe du « tous capables »
Le snU.pden-FSU combat résolument cette idéologie. À toutes les échelles de l’Éducation nationale, nous œuvrons pour que la volonté politique de faire réussir tous les élèves soit au cœur des politiques publiques.
L’Éducation nationale a besoin d’une orientation claire réaffirmant le principe fondamental du « tous capables » : tous capables de réussir une scolarité, tous capables de construire un projet qui leur corresponde.
La sélection et la peur de ne pas faire partie des « élus » ne doivent pas constituer le moteur principal de la motivation des jeunes de notre pays.
C’est à cette condition — en réaffirmant l’ambition de réussite pour tous et en donnant à l’École les moyens nécessaires — que nos métiers retrouveront leur sens. Nous redeviendrons celles et ceux qui permettent, qui accompagnent la réussite. Les métiers de l’Éducation nationale reconquerront alors ce qu’ils n’auraient jamais dû perdre : leur valorisation, leur attractivité et le plaisir de les exercer.
Nous en avons grand besoin.
