On a bien compris la chanson : François Bayrou nous réveille de notre torpeur d’accros à la dette et tire le rideau des largesses d’un Etat social dont il va falloir à présent payer l’addition. La santé, l’école, les services publics, il est grand temps que nous comprenions que ce sont avant tout des coûts, et qui pèsent bien trop lourd pour la société alors que le marché est en souffrance et attend de prendre le relais. Mais si la fête est finie, Elisabeth Borne nous appelle pour autant à ne pas nous attrister pour ce gouffre qu’est notre système éducatif : ce sont 16 milliards d’euros supplémentaires dont l’Education nationale a bénéficié depuis 2017.
Quelque chose nous aurait-il échappé ? La ministre oublie de nous dire que ces dépenses sont pour l’essentiel l’effet mécanique de la hausse des salaires liée à l’ancienneté, et n’ont rien à voir avec de nouveaux investissements pour les moyens de l’école. Et avec 65 milliards d’euros, l’éducation reste toujours loin derrière ce premier poste du budget de l’Etat que sont les 211 milliards d’aide aux entreprises.
Pour autant, à l’en croire, ce n’est pas la volonté qui manque, même si un certain nombre des effets de « choc » de Gabriel Attal sont mis au panier (l’obligation du brevet pour l’entrée en seconde, l’extension des « groupes de besoins » aux élèves de 4e et 3e, la mise en place généralisée des classes « Prépa seconde »…). Madame Borne en reste aux fondamentaux du blanquérisme, ce cap toujours présenté comme obligé pour sauver l’Ecole : même si tous ses résultats le démontrent contre-productif, on suppose que l’entêtement finira bien par payer… Mais avec une nouvelle panoplie de protocoles, des prescriptions toujours plus nombreuses, des missions en inflation avec des moyens (IMP, HSE, Pactes) toujours plus réduits, nous avons droit à un pilotage « renforcé ».
Il faut bien remarquer également une coloration particulière dans la stratégie de communication du ministère Borne, qui se construit en deux axes.
D’abord un axe protecteur avec les ritournelles de la promotion de la santé mentale et d’une école sûre et protectrice, ainsi que d’un concept de co-éducation tourné en relation-client, qui ouvre la voie à une configuration marchande de l’inclusion et à l’amplification d’un phénomène d’instrumentalisation du harcèlement.
Et ensuite un axe méritocratico-républicanisant, qui tient un difficile équilibre entre deux prétentions : la réduction « des inégalités de destin » dans le processus d’orientation et le « redressement du niveau », accommodation bricolée d’un « en même temps » des discours émancipateur de gauche et conservateur de droite. Il y a d’ailleurs de quoi surprendre dans ce nouvel intérêt pour le pauvre, qui est plutôt la cible ordinaire de cette politique. Mais ce discours sert surtout à habiller un activisme à moyens réduits, avec un basculement des missions des psy-EN vers les professeurs principaux et de l’Etat vers les régions.
Il faut reconnaître que tout cela est bien peu entraînant pour nos missions de direction, plus que jamais corsetées pour un système éducatif aligné sur une politique devenue captation de l’attention.
S’il faut maintenant nous tourner vers un éventuel après-Bayrou, deux perspectives y semblent probables :
- le « besoin de stabilité » amène à conserver le cap et, pourquoi pas, la disruption dans la continuité : Elisabeth Borne et Caroline Pascal à la Dgesco pourraient bien reprendre leur propre succession ;
- le retour de la propagande électorale pour la restauration de l’ordre et de l’autorité à l’école.
Soit : les mornes plaines du néolibéralisme technocratique ou le cauchemar du néoconservatisme fascisant. Mais on peut toujours se prendre à rêver…