Souvenirs, souvenirs… de quelques faveurs faites au privé

Il y a exactement 31 ans, alors que François Bayrou était ministre de l’Éducation Nationale, la loi Bourg-Broc, visant à permettre le financement des investissements des établissements privés d’enseignement par les collectivités territoriales, était adoptée en séance de nuit….
La réplique fut immédiate : une grève des personnels de l’Éducation nationale et surtout une grande manifestation le 16 janvier 1994. Celle-ci fut une grande réussite et près d’un million de personnes ont envahi les rues de Paris.
Saisi par des sénateurs et députés de gauche, le Conseil Constitutionnel annula une grande partie de la loi dont le financement par les collectivités territoriales. Il mettait en avant, entre autres, « l’existence de garanties nécessaires pour prémunir les établissements d’enseignement public contre des ruptures d’égalité à leur détriment au regard des obligations particulières que ces établissements assument ».

Ces événements ont aujourd’hui un écho singulier avec la désignation de Bayrou à la tête du gouvernement.

Rappelons quelques faits.

Les établissements privés sous contrat représentent 7 500 établissements dont 96 % sont catholiques, et sont financés depuis la loi Debré de 1959 par de l’argent public qui couvre plus de 75 % de leurs frais de fonctionnement.

Suite aux prises de positions en faveur du privé par l’éphémère ministre, A. Oudéa-Castéra, le financement de celui-ci par des collectivités territoriales a été mis en évidence. Ainsi en est-il des bonus accordés par les Régions aux lycées privés sous contrat (pour rappel 1,2 milliard de subventions entre 2016 et 2023, en plus des 3 milliards auxquels la loi les oblige). La région Île de France consacre d’importantes sommes à l’enseignement privé au détriment de l’enseignement public alors que des établissements de Seine-Saint-Denis attendent d’être rénovés depuis plusieurs années.

La place que l’Etat accorde au privé aujourd’hui n’est pas sans poser problème, au regard d’un constat de ségrégation sociale qui se trouve particulièrement renforcée par l’enseignement privé sous contrat. La différence sociologique entre les familles d’élèves dans le public et dans le privé sous contrat n’a cessé de croître. Plus que jamais, le privé sous contrat scolarise les élèves les plus socialement favorisés.

Ce sont d’autre part les « accommodements » avec les programmes nationaux et les directives ministérielles qui ont été pointés par la Cour des Comptes et le rapport parlementaire Vannier-Weissberg.  Le déficit du contrôle sur l’enseignement privé sous contrat est d’ailleurs pleinement assumé par la Dgesco (les droits d’exception que s’octroie le Collège Stanislas : « cela ne nous regarde pas »).

Enfin, et ce n’est pas qu’une parenthèse, on a touché le fond du bénitier avec la nomination par le gouvernement Barnier au poste de « ministre délégué chargé de la réussite scolaire et de l’enseignement professionnel » du très pieux Alexandre Portier, ardent défenseur des vertus du privé, et qui affiche sur X ses intentions de prière à Notre-Dame-de-Fourvière.

De plus en plus, la laïcité est récupérée par ses ennemis, détournée de son sens et invoquée dans un sens identitaire comme la protection des prétendues valeurs traditionnelles de la société française.

La désignation de François Bayrou ouvrira-t-elle dans ce contexte la perspective de nouveaux privilèges pour le privé ? L’héritage d’Henri IV, le héros proclamé du nouveau Premier ministre, n’est pas seulement celui de la poule au pot du dimanche. Mais ce n’est pas non plus celui du ralliement à une religion dominante par souci de paix sociale. Nous saurons le rappeler.