Solidarité ou fragmentation, un choix de société

Nous sommes aujourd’hui confrontés à un choix essentiel entre le renforcement des solidarités ou au contraire la fragmentation accrue au sein du monde dans lequel nous vivons.

Cette dichotomie fondamentale se retrouve au premier plan de nombreuses problématiques, qu’elles soient internationales ou au plus proche de notre quotidien national.

Solidarité internationale d’abord. Prenons l’exemple des politiques migratoires. Alors que soixante-cinq décès ont été constatés pendant les dix premiers mois de l’année 2024 en Manche à la suite de tentatives de migrants pour rejoindre l’Angleterre, alors qu’au moins vingt-quatre mille cent vingt-cinq décès ont été constatés en méditerranée depuis 2014, quand nos gouvernements cesseront-ils de réfléchir en fragmentant le monde, en opposant des populations, des êtres humains, pour a contrario développer des politiques solidaires et de digne accueil des migrants ? Nous devons maintenir notre indignation face à ces drames humains, nous devons refuser ces morts, nous n’avons pas le droit d’accepter ces faits comme une fatalité, nous n’avons pas le droit de nous y habituer. Ces drames devraient catalyser l’ensemble des forces progressistes pour exiger solidarité internationale et solidarité nationale dans les politiques migratoires et internationales mises en œuvre.

Autre exemple de cette fragmentation à l’œuvre au détriment des solidarités, celui des conflits armés et de l’abandon du droit international comme premier facteur de résolution des conflits et de régulation des engagements des forces militaires. Comment la jeunesse de notre pays peut-elle se construire sur des valeurs de solidarité lorsque le droit international lui-même n’est plus reconnu comme base de la régulation des conflits, supplantée par la violence la plus abjecte, lorsque cette jeunesse est exposée chaque jour aux terribles images des drames au Moyen-Orient, exposée chaque jour à des formes de violences d’État que les organisations internationales dénoncent comme illégales et qualifient de crimes de guerre, lorsque les organisations et forces des Nations Unies sont mises à mal, lorsque les morts dans ces territoires se comptent par dizaine de milliers ?

Bien loin de nos préoccupations quotidiennes, de nos préoccupations métiers me direz-vous. Est-ce bien certain ?

Partons d’une annonce récente de notre actuelle ministre de l’Éducation Nationale, Madame Genetet, la séparation des notes d’histoire géographie et d’enseignement moral et civique pour le Diplôme National du Brevet (DNB). Quel sens donner à cet acte de politique éducative ? Serait-ce celui de déconnecter l’EMC des données historiques et géographiques, de la pensée réflexive pour revenir, ainsi que certains le demandent, à la leçon de morale ? Ou celui de ne plus favoriser la pensée réflexive, la pensée critique, la pensée émancipatrice pour renforcer des conditionnements comportementaux ? Nos élèves ont besoin de comprendre le monde dans lequel ils vivent dans sa globalité, dans sa complexité. Cette compréhension ne peut s’effectuer que par des approches didactiques et pédagogiques, menées par des enseignants formés, qui favoriseront le développement pour nos élèves d’une pensée construite, argumentée, l’acquisition de savoirs et compétences qui leur permettront d’exercer pleinement leur citoyenneté.

Poursuivons par la finalité de la scolarité obligatoire qui, au-delà des acquisitions de savoirs et compétences, doit permettre aux élèves de vivre l’établissement scolaire comme lieu de socialisation. Quelles normes sociales doivent prévaloir ? Une vision de l’hétérogénéité, de la différence comme valeurs positives, comme leviers d’enrichissement par l’appui du collectif, ou au contraire comme obstacles aux distinctions du quant à soi et comme freins à tirer profit des situations favorisées dans le jeu de la « lutte des places » et de la sélection ? C’est bien cette question qui est posée par la mise en œuvre des groupes français et mathématiques en 6e et 5e.

Centrons-nous également sur une actualité brûlante pour les fonctionnaires, le passage à trois jours de carence et à 90% du taux de rémunération lors d’arrêt maladie. Nous avons entendu les arguments développés par le gouvernement : l’ « absentéisme » des fonctionnaires en augmentation est due à des choix personnels, souvent non justifiés par des causes médicales, puisque en réduisant la rémunération le gouvernement pense réduire l’absence des fonctionnaires. Dans ce cas également que vise réellement le gouvernement ? La fragmentation de la société, la mise en opposition public-privé, le renvoi d’un mal-être à des responsabilités individuelles et non structurelles. Nous pourrions poursuivre avec la baisse du taux de remboursement des visites médicales de 70% à 60% par la Sécurité sociale, le restant étant renvoyé aux mutuelles, mesure envisagée dans le cadre la PLFSS (nous pourrions également citer l’augmentation du reste à charge pour chaque boîte de médicaments).

Autant de choix politiques qui se caractérisent par un abaissement des solidarités collectives nationales pour aller vers des systèmes assurantiels individuels conduisant à des fragmentations du corps social jeunes/personnes âgées, public/privé, actifs/retraités, …

Ces éléments de fragmentation au plus proche de notre quotidien peuvent nous sembler bien éloignés des questions internationales évoquées en début de propos. L’actualité internationale, oppressante, peut mettre au deuxième plan et laisser paraître bien dérisoire l’augmentation d’un euro restant dû pour une boîte de médicament ou le type de structuration de l’enseignement obligatoire dans notre société française, société somme toute épargnée par les drames auxquels sont exposés des millions d’habitants de notre planète. Et pourtant, la question posée est bien celle du rapport de solidarité, de la volonté de rapprocher les populations, de renforcer notre capacité à vivre ensemble en reconnaissant une valeur positive aux différences, ou au contraire, d’opposer les groupes et les individus, de les mettre en concurrence, de valoriser la loi du plus fort au détriment d’une régulation non violente reconnue par le Droit. Ces valeurs ne peuvent être dissociées en fonction du contexte dans lequel elles s’appliquent. La solidarité vaut aussi bien pour mon voisin de classe que dans les relations interétatiques entre les pays d’Europe et d’autres continents.

Le syndicalisme de transformation sociale porté par le snU.pden-FSU veut croire en la capacité des personnels de direction pour agir, en tant que citoyens et dans l’exercice professionnel pour former, accompagner, les jeunes dont nous nous occupons au quotidien en promouvant la valeur de solidarité, en luttant contre toutes les fracturations de notre société, contre toutes les fragmentations. Nous avons de nombreux leviers pour cela. Le premier d’entre eux est de garder l’espoir en notre capacité à agir pour une société meilleure. L’action individuelle et collective en est la source, l’engagement syndical un moyen.