Le Chef de l’Etat, confirmant son engagement à faire de l’Ecole un grand chantier politique, a précisé les grandes lignes de la réforme annoncée de la formation initiale des enseignants : passation des concours au niveau bac + 3, rétablissement des écoles normales, centralisation des maquettes de formation…
Il s’agit d’abord de transformer le plomb en or, par un affichage qui prend acte de la défaillance à contrer la pénurie du recrutement dans une profession aux conditions d’exercice fortement dégradées. Situation dont les politiques délétères conduites ces dernières années et les discours de dénigrement sont des causes non négligeables.
Mais les intentions ne s’en tiennent pas là. Gabriel Attal reprend le flambeau présidentiel en déclarant vouloir « créer les hussards noirs du XXIème siècle » avec « une formation axée sur les fondamentaux et les valeurs de la République ».
Fidèle au narratif douteux du retour de la France des nostalgiques de « quand elle était la France », flirtant avec la dystopie d’une police des consciences, ce vocabulaire est à la fois ridicule et inquiétant.
Tout d’abord, en réduisant la durée de la formation, il affiche une volonté de tourner le dos aux textes qui structurent le système éducatif sur l’autonomie des établissements et les compétences de concepteurs de leurs cadres et de leurs équipes. « L’idée, c’est qu’on aura des gens qui s’inscriront dès le post-bac, on les forme tout de suite aux apprentissages de base ». Faut-il comprendre que des apprentissages au-delà de ceux « de base » seraient supposés a priori inutiles ou pernicieux pour former de futurs éducateurs et enseignants ?
Mais c’est surtout la ritournelle guerrière qui justifie cette mise au pas qui ne laisse pas d’inquiéter : répétiteurs de manuels officiels, ces futurs missionnaires en mode 3.0 sont censés contribuer au « réarmement de l’Ecole ». Et pour bien encadrer les rangs, le concours de recrutement des personnels de direction est reformaté avec un oral d’admission qui cible « les capacités managériales » et non plus pédagogiques « ainsi que l’aptitude des candidats à mettre en œuvre des réformes ». Il y a tout à craindre d’un pouvoir qui affaiblit l’indépendance des corps d’inspection, qui se défie des personnels d’encadrement et qui veut mettre au pas les enseignants en imaginant peut-être les transformer en dispensateurs d’un catéchisme politique destiné à gouverner l’opinion, sous couvert d’un « retour à l’ordre ».
Car si les hussards noirs de Jules Ferry étaient les défenseurs de la République laïque contre l’emprise de l’Eglise et des pouvoirs conservateurs, on se demande ce qu’a encore de républicain un Etat qui promeut une politique de plus en plus difficilement identifiable comme « laïque, démocratique et sociale ». Doit-on se réjouir de la perspective d’une normalisation conçue par des penseurs formés à l’Ecole Alsacienne, à Stanislas ou à Saint Louis de Gonzague ? Nous voici loin de l’idéal d’une Ecole émancipatrice, avec un projet qui vise à fabriquer des esprits accoutumés à se plier à « l’autorité des savoirs » plutôt qu’à se confronter à des problèmes enrichis par la controverse.
Mais le manque d’ampleur de cette « vision » n’est pas le moindre des sujets de crainte. Surtout quand Paris-Match vient à remplacer Condorcet sous le signe du « choc des savoirs ». Si l’ambition qui se réclame des références prestigieuses à la tradition républicaine est de produire une version réinitialisée de l’école de Jules Ferry et de Ferdinand Buisson, on est décidément bien loin du compte. Allons ! encore un effort pour changer de groupe de niveau !