Entretien avec Bertrand Sorre, député de la 2ème circonscription de la Manche

« La loi « Pour une école de la confiance » permet d’apporter des solutions locales aux problèmes de terrain »

Bertrand Sorre est élu de la deuxième circonscription du département de la Manche

Elu de la 2ème circonscription de la Manche, Bertrand Sorre est membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Co-auteur d’un amendement instituant la création des établissements publics des savoirs fondamentaux, il nous a livré, au cours d’un entretien, sa lecture de la loi « Pour une école de la confiance », présentée par Jean-Michel Blanquer.

Pourquoi avoir évoqué la notion d’exemplarité dans l’article 1 qui donne d’emblée une dimension morale au travail des fonctionnaires ?

Cette notion d’exemplarité concerne les enseignants dans l’exercice de leurs fonctions et devant les élèves. La quasi-totalité des enseignants remplissent parfaitement leur mission, mais on sait qu’une petite fraction dysfonctionne. C’est une réalité. La mise en avant de cette notion d’exemplarité dans le cadre de la loi constitue désormais un garde-fou à certaines dérives, à certains discours en présence d’élèves et donc, cela va mieux en l’écrivant.

Cette notion d’exemplarité ne concerne donc pas les prises de position des personnels de l’Education sur les réseaux sociaux ?

Non. Nous avons entendu les craintes des enseignants. Chacun est libre de ses opinions et les enseignants, comme chaque citoyen, resteront libres de leurs engagements. Cette mention de l’exemplarité vise à lutter contre toute forme de prosélytisme. Des procédures disciplinaires seront assorties.

La loi établit une nouvelle typologie d’établissements scolaires (jardin d’enfants, école maternelle, école primaire, collège, établissements publics locaux d’enseignement international, établissements publics des savoirs fondamentaux) : n’y a-t-il pas dans cette typologie les éléments d’une école à plusieurs vitesses ?

Une école à plusieurs vitesses, ce n’est certainement pas ce que souhaite le Ministre. La question des jardins d’enfants est une mesure transitoire. La loi instaure désormais l’école obligatoire à compter de l’âge de 3 ans. Cette mesure vise donc à favoriser la scolarisation de 26 000 enfants aujourd’hui non scolarisés pour leur permettre d’être accueillis et de bénéficier de mesures ordinaires, de l’acquisition des codes. Les chiffres montrent que la grande majorité de ces 26 000 enfants vivent dans des familles défavorisées, pour beaucoup d’origine étrangère où la langue française est peu pratiquée, où l’ouverture culturelle est quasi inexistante et où la socialisation qu’offre l’école maternelle favorisera l’intégration et l’acquisition des savoirs fondamentaux.

 L’institution d’établissements publics des savoirs fondamentaux suscite de nombreuses craintes chez les enseignants.

Le texte va évoluer en deuxième lecture, pour répondre aux craintes exprimées. Par exemple, dans la prochaine version, l’accord du conseil d’école, du conseil d’administration, des collectivités donc des élus seront pris en compte pour créer un EPSF. L’idée n’est ni de rendre obligatoire ces EPSF ni de généraliser ce dispositif sur l’ensemble du territoire français, mais d’offrir la possibilité de formule adaptable selon les spécificités locales. Par exemple, dans les territoires ruraux, il est clair que la création d’un tel dispositif peut sauver à la fois une école rurale et le collège. On crée donc par l’intermédiaire de la loi une possibilité de maintenir en place des structures tout en les faisant évoluer. L’idée n’est pas de supprimer des services publics mais de les maintenir. Pour autant, il faut que les équipes soient d’accord sur le terrain, c’est évident.

Présentée ainsi, la loi donne le sentiment d’être essentiellement technique…

Nous avons bien compris que les gens attendaient davantage de décentralisation et qu’il fallait apporter des solutions locales aux problèmes. S’il y a des volontés pédagogiques de mettre en place de telles structures, ce sera donc désormais chose possible. Dans mon département, je sais qu’il y a des projets avancés, que les élus attendent les textes de loi pour continuer. Pour l’heure, la loi ne prévoit pas de regroupement entre les collèges et le lycée de secteur. Malgré tout, je ne vois pas en quoi, si cela a du sens, cela serait impossible.

Les enseignants du premier degré sont inquiets devant la création des établissements publics des savoirs fondamentaux.

La mise en place du socle commun a institué un cycle 3 qui regroupe le cm1, le cm2 et la 6ème. Il y a des endroits où cela fonctionne. Mais il y en a d’autres où la liaison se résume à deux réunions annuelles et peu de liaison entre le premier et le second degré. La création de telles structures, si elles sont portées par les équipes, doit permettre un meilleur travail en équipe, au service des élèves.

Mais les enseignants du premier degré font également valoir la question des statuts et leurs horaires de services.

Quand les enseignants du second degré doivent 18 heures, ceux du premier en doivent 24. Je vais être franc, je n’ai aucune information sur une éventuelle évolution du statut des enseignants du premier degré. Ce que je sais, c’est que les directeurs d’école ont une charge de travail conséquente, avec une charge pédagogique et administrative, sans secrétariat. C’est un travail intenable. Leur fonction est reconnue par les parents d’élèves, mais ils devraient bénéficier d’une vraie évolution de carrière, avec un statut comparable à ceux des principaux adjoints. Certains directeurs d’école que je connais me disent qu’ils souhaiteraient aussi pouvoir conserver la possibilité d’enseigner.

Une telle fusion amplifierait les tâches qui incombent déjà aux secrétariats des collèges.

La loi fixe le cadre, les aspects réglementaires sont fixés par les décrets. Le Ministre de l’Education Nationale est prêt à apporter des moyens aux structurent qui innovent. Mais c’est là aussi que les organisations syndicales doivent jouer leur rôle pour demander des moyens supplémentaires.

La loi dit que les établissements publics locaux d’enseignement internationaux recruteront leurs élèves en fonction de leurs compétences en langue. N’est-ce pas là un moyen de déroger à la carte scolaire ?

C’est possible. Prochainement, le Ministre doit faire des annonces concernant l’enseignement des langues pour améliorer la qualité de l’enseignement et les compétences des élèves ?  Il y aura probablement une carte des EPLE-I au niveau national, mais pour le moment, je n’en sais pas plus.

L’Etat connait actuellement des difficultés de recrutement des enseignants ; la loi ouvre le droit aux AED d’accéder aux fonctions d’enseignement, s’ils sont inscrits dans une voie de formation préparant au diplôme d’accès aux corps d’enseignants ou d’éducation. N’y a-t-il pas dans cette mesure une volonté de la part de l’Etat de faire des économies ? Dans quelle mesure peut-on dire que l’enseignement dispensé sera de qualité ?

Nous avons, sur ce sujet aussi, entendu les critiques et le texte va évoluer en deuxième lecture. Contrairement à ce qui peut parfois être dit, les assistants d’éducation ne pourront pas être seuls en présence d’élèves. Ils pourront être sollicités sur l’aide aux devoirs, comme c’est déjà actuellement le cas. Ils pourront également travailler dans les classes, en présence d’un enseignant. Tout ceci doit être prochainement reprécisé.

Il n’y a pas une alternance politique sans que l’Education Nationale ne connaisse de réforme. Cela peut créer chez les personnels de l’agacement, voire un sentiment de lassitude. On ne leur laisse pas assez le temps.

C’est vrai qu’il y a une usure du métier et cela n’est pas uniquement dû qu’aux réformes. Ce que je vais dire ne va pas forcément plaire, mais avec la réforme de la fonction publique qui est en préparation, nous allons permettre la création de passerelles vers les autres fonctions publiques et ouvrir d’autres voies. Un enseignant qui souhaite se reconvertir et candidater à la fonction de directeur général des services d’une mairie ne peut pas le faire ou bien c’est très compliqué. Nous voulons faciliter les choses pour les personnels et mettre en place des accompagnements pour ceux et celles qui souhaitent connaître des mobilités de carrière.

Est-ce donc la fin de la Fonction Publique ?

Non. La Fonction Publique continuera d’exister, mais il est clair qu’il faut l’adapter à la réalité actuelle. Je suis parfaitement conscient que cette réforme va faire l’objet de discussions et de contestations. Pour autant, nous sommes en discussion avec les partenaires sociaux et un accord semble possible.

Granville, le 12 avril 2019

Propos recueillis par Samuel Lautru, secrétaire général adjoint du snU.pden-FSU