Prenant pour prétexte les résultats de PISA, annoncés comme catastrophiques pour les élèves français, le Ministre de l’Éducation Nationale a lancé le lundi 5 décembre une série de mesures touchant tant l’école, le collège que le lycée. Au passage, en s’adressant aux professeurs et à la communauté éducative, il « squeeze » les chefs d’établissement qui auront pourtant très vite la lourde tâche de mettre en place les annonces et qui attendent toujours la revalorisation de leur statut et de leur rémunération.
Un remarquable coup de force médiatique, il faut le reconnaître, qui permet de faire oublier que ces résultats montrent en tout premier lieu l’échec de la politique éducative de ses prédécesseurs (qui n’ont pas écouté les syndicats de terrain). Mais surtout de faire croire à la majorité de la population, et sans doute même de la profession, qu’il va apporter des réponses rapides et efficaces, sans s’embarrasser des possibilités de les mettre en place. La désillusion n’en sera que plus grande, à la hauteur de l’échec annoncé !
Une école plus injuste et plus ségrégative socialement : redoublement, groupes de niveau, retour vers le passé !
La voie dans laquelle tente de nous engager M. Attal nous conduit, conduit nos élèves, vers plus d’injustice, vers plus de déterminisme social, vers plus de ressentiment social.
En effet, pour chaque niveau de scolarité les annonces sont soit rétrogrades (pour les plus anciens d’entre-nous nombre de propositions ont déjà été mises en œuvre puis abandonnées parce qu’elles ne donnaient pas satisfaction), soit coercitives, imposant aux enseignants et aux établissements des pratiques qui nient l’expertise individuelle des personnels et l’intelligence collective des équipes d’établissement.
Ces mesures ne peuvent manquer de choquer par l’orientation ségrégative qui s’en dégage, ne cherchant pas à résoudre par le haut, pour favoriser la réussite de tous, les défis posés par exemple par l’hétérogénéité. La réduction des effectifs des classes, le co-enseignement, le renforcement des dispositifs d’accompagnement pour les élèves à besoins particuliers, sont trois exemples de solutions simples, qui donnent des résultats positifs lorsque les conditions sont réunies.
Au lieu de créer les conditions pour que chaque élève puisse dépasser, au sein du groupe classe, les difficultés rencontrées, le gouvernement fait le choix de la ségrégation.
Les réponses du Ministre sont le redoublement et la constitution de groupes de niveau, sans assurance que ces groupes soient à effectifs réduits en dehors du groupe des élèves en difficulté. L’objectif n’est plus de créer les conditions de la réussite, mais d’y substituer, par les groupes de niveau, l’abaissement des objectifs visés, et par le redoublement le renvoi à la pensée magique consistant à penser que refaire la même chose une seconde fois permettrait de mieux réussir. Rappelons qu’en 1980, 50% des élèves en 5ème avaient une année de retard ou plus. Rappelons-nous l’analyse critique qui avait été alors menée sur l’inefficacité de cette pratique !
Une certitude, ces deux orientations ne combattent pas les déterminismes sociaux, mais les renforcent.
La décision de redoublement sera prise par les professeurs. Si nous ne posons pas tout de suite la question du positionnement du chef d’établissement dans les écrits du Ministre, posons-nous d’autres questions centrales. Monsieur le Ministre pense-t-il que la crainte du redoublement mettra les élèves au travail ? Est-ce à dire que les familles sont trop irresponsables pour échanger avec les équipes éducatives et prendre les décisions qui semblent les plus favorables à la réussite du jeune ? Serait-ce par la crainte et la position de domination de l’enseignant que le Ministre souhaite rétablir une saine autorité et redonner une image positive de l’Éducation Nationale ? Est-ce ce type de relations sociales que nous souhaitons développer dans notre démocratie ?
Non, nous avons besoin d’un système éducatif qui nous permette de travailler avec les élèves et leurs familles, dans des relations de confiance, chacun dans son rôle, chacun dans son champ de compétences et de responsabilité, dans des conditions qui permettent aux élèves et à leurs responsables de participer activement à la construction de projets qui mènent à la réussite, à la construction des conditions qui facilitent cette réussite. L’imposition ne mènera qu’au renforcement des tensions, au renforcement du ressentiment social. Ce n’est pas ce contexte qui favorisera la mise au travail, le renforcement de la motivation de nos élèves.
De même la prescription par les professeurs de dispositifs de remédiation qui, s’ils ne sont pas acceptés par les familles et les élèves, ne pourront pas donner de résultats positifs. Seule la confiance, l’échange et la construction commune peuvent permettre d’avancer constructivement.
Pas de brevet, pas de lycée !
Brevet obligatoire pour passer en seconde, les notes et non plus les échelles de compétences sont prises en compte pour le contrôle continu du brevet qui sera ramené à 40% du total des points. Quel retour en arrière pour nombre de collèges dans lesquels parents et équipes éducatives avaient réalisé le choix d’évaluer sans usage des notes pour renforcer l’évaluation formative, au service des apprentissages et de l’enseignement.
Que seront ces dispositifs « Prépa lycée » qui permettraient à des élèves n’ayant pas obtenu le brevet de passer en seconde ? Où seront-ils implantés et avec qui ? Avec quel objectif, les garder jusqu’à obtention du diplôme ? L’échec scolaire ne serait donc qu’une question de mauvaise volonté qui sera résolue par une « prépa lycée » ? Quand on sait que les élèves qui échouent sont ceux qui sont en rupture scolaire et qu’ils n’ont qu’une hâte, rejoindre une structure qui réponde à leurs attentes de passage à du concret, la solution du ministre a de quoi les désespérer.
De la liberté pédagogique à la pensée unique
Enfin manuel unique, méthode de Singapour et recours à l’intelligence artificielle ! Le manuel doit être un support choisi par l’enseignant, de même que les formes de pratiques pédagogiques conçues et élaborées par un enseignant responsable et maître de l’élaboration et du choix des supports utilisés pendant ses cours. L’imposition de la bonne méthode, l’imposition du manuel ne peuvent mener à la réussite. L’enseignant doit être le concepteur des séquences et des évaluations proposées aux élèves pour réguler enseignement et apprentissages. Il ne peut y avoir de méthode imposée.
Quant au recours à l’intelligence artificielle, si, comme tout bon logiciel éducatif, elle peut être considérée comme un point d’appui, elle ne peut en aucun cas se substituer à l’enseignant, à la qualité de l’enseignement, à l’apprentissage au sein de la classe. Et quand on connaît les difficultés de notre ministère à se doter d’outils informatiques performants (voir IProf ou la base EPP des rectorats), on peut douter de la mise en place d’une IA efficace et sous contrôle !
Et sur un plan pratique ?
Ces réformes envisagées soulèvent de nombreuses interrogations aujourd’hui sans réponse.
Groupes de niveau en 6ème et 5ème en septembre 2024, puis tous les niveaux de collège en 2025. Cela rend-il impossible la mission de professeur principal en collège aux professeurs de ces deux matières alors qu’ils fournissent les gros bataillons de nos PP ? Les groupes placés en barrettes obligeront-ils les enseignants de Français et de Maths à devoir prendre les 4 niveaux d’ici 2025 dans les collèges de petite et moyenne tailles ? Quelle taille feront les groupes qui comprendront les élèves moyens et bons ?
Les stages obligatoires, par qui seront ils encadrés ? Par des professeurs volontaires de nouveau pour un dispositif obligatoire pour les élèves ? Ou alors nous dirigeons nous vers l’imposition de ces dispositifs aux enseignants et l’annualisation des services ? Et qu’en est-il des chefs d’établissement ? Devront-ils ouvrir bénévolement les établissements pour permettre ces stages (rémunérés 156 euros pour 3 heures) ?
Que deviennent les groupes de soutien/approfondissement mis en place cette année ? N’auront-ils vécu qu’un an ?
Quelles implications en termes de ressources humaines ? Qui seront les professeurs de français en mathématiques et lettres nécessaires à ces dispositifs. Les moyens seront ils abondés dès le prochain conseil social d’administration du 21 décembre afin que nous puissions préparer la rentrée 2024 et la répartition des dotations horaires dans des conditions acceptables ?
Quelles conséquences sur l’autonomie de l’EPLE ? L’article R. 421-2 du code de l’éducation précise que l’autonomie de l’EPLE porte sur l’organisation de l’établissement en classes et groupes d’élèves. En effet, rien aujourd’hui n’interdisait à un établissement de créer des groupes de besoins (dans le cadre des moyens délégués). Si nombre de collèges n’ont pas fait ce choix, c’est qu’il ne correspond pas aux modes d’organisation décidée au sein des EPLE.
Quel discrédit de la parole publique, de la parole des personnels de direction
Alors que pendant de nombreuses années notre ministère nous a demandé, en collège de travailler en nous basant sur les compétences, nous a demandé de développer le travail par cycle, nous a demandé de permettre la réussite sans usage du redoublement, sauf à titre exceptionnel, … aujourd’hui il nous est demandé de justifier de positions inverses. Quel revirement ! Comment, alors que la parole politique et la confiance dans les institutions est sujette à caution par nombre de citoyens, comment considérer que ces revirements pourront créer la confiance indispensable à l’efficacité de notre institution ?
Vers le renforcement du fractionnement social
Enfin, la mise en cause de l’intérêt pour tous les élèves de l’hétérogénéité est, à moyen terme, catastrophique. La prise de position idéologique que regrouper les meilleurs est indispensable à la réussite de leur scolarité au meilleur niveau, ne peut qu’inciter les parents à rechercher l’entre soi, le regroupement d’élèves de mêmes caractéristiques au sein d’établissements, au détriment des mixités sociales et scolaires. Cela ne peut que renforcer le fractionnement de notre société. Cela, nous ne pouvons l’accepter !
Igor Garncarzyk
Secrétaire général du snU.pden-FSU